À propos

un regard de l’intérieur vers l’extérieur

Photographe et auteur, Yohannes ne travaille ni pour séduire, ni pour plaire. Il explore.

Il s’installe là où les regards se dérobent : dans les plis du réel, les marges sociales, les instabilités intérieures. Sa photographie, comme son écriture, naît d’une tension, entre présence et retrait, lumière et silence, douleur et résistance.

Il ne capte pas de l’extérieur. Il vit avec. Il traverse les frontières, non pour les cartographier, mais pour s’y maintenir, à hauteur d’humain. Il photographie sans chercher l’esthétique, mais avec une extrême attention à la vérité d’un instant : gestes ténus, silences denses, regards en équilibre. Il écrit comme il marche : lentement, précautionneusement, en évitant les certitudes. Il donne à voir, sans jamais imposer de lecture.

Chaque projet qu’il initie est une tentative d’habiter un déséquilibre, non pas pour le résoudre, mais pour le faire apparaître.

La douleur n’est pas un sujet dans son travail, mais une matrice. Elle modèle sa manière de voir, de ressentir, de cadrer. L’image devient un espace respirable, où le repli n’est pas une fuite mais une forme de présence autrement.

Yohannes travaille lentement. Il écoute. Il veille. Il cherche moins à produire qu’à capter ; dans le sens le plus retenu du terme. Une forme de justesse brute, sans filtre, sans vernis.

Il s’inscrit à contretemps, loin des injonctions de narration, loin de la vitesse. Il refuse l’illustration, comme il refuse la distance confortable. Il travaille dans la proximité, mais sans effraction. Une photographie de l’intérieur, de l’extrême bord, qui dit sans bruit ce que d’autres hurlent.

Ses images, comme ses textes, témoignent d’un refus : celui de disparaître, celui de simplifier, celui d’oublier.

Il travaille dans les marges, non pour les documenter, mais pour les habiter.


Lettre intérieure

« Je ressens le besoin de dire les choses simplement. Il y a en moi cette douleur, constante, sourde, profondément ancrée. Une forme de présence envahissante, invisible, mais tenace. Elle ne se manifeste pas avec violence, elle s’installe. Elle découpe le quotidien en morceaux isolés, interrompt les élans, rend les gestes hésitants.

Dans ces moments, je me retire. Pas pour fuir les autres, mais parce que leur simple présence devient difficile à supporter. Je vacille entre le besoin de lien et l’incapacité d’entrer en relation. Ce n’est pas un choix. C’est une nécessité. J’entre dans une forme de silence intérieur, où même les voix familières finissent par heurter. Ce n’est pas une posture, ni un caprice. C’est un mécanisme de survie.

Le monde extérieur, alors, devient lointain. Les mots ne sortent plus. Les repères se brouillent. Je n’ai plus accès à ce que les autres semblent traverser sans encombre. Chaque contact devient une friction. Chaque regard, une tension. Le corps lui-même devient un obstacle. Et au milieu de tout ça, une question revient : est-ce que je suis encore là ? Ou bien est-ce que ce que je vis m’a effacé ?

Je ne cherche ni pitié, ni explication. Ce que je vis ne se résume pas. Il ne s’agit pas de plaintes, ni de revendications. Juste d’un constat. Il y a ces périodes où exister devient un effort. Où je ne peux plus répondre à ce qu’on attend de moi. Parfois, même les gestes les plus simples deviennent insurmontables.

Et pourtant, dans ce retrait forcé, quelque chose résiste. Quelque chose tient. J’apprends à ne pas me juger. À attendre. À me taire. À me recentrer. La solitude, à défaut d’être choisie, devient un espace nécessaire. Je m’y recompose. Lentement. À ma manière.

C’est là que l’observation devient essentielle. Regarder m’aide à rester présent. Photographier me permet d’être là, sans confrontation, sans masque. C’est une manière de faire lien avec le monde, sans me perdre dans le tumulte. L’image, parfois, me permet de reprendre la main, même brièvement.

Je ne photographie pas pour montrer. Je photographie pour tenir. Pour ralentir. Pour me relier. Chaque image est un fragment de stabilité, un instant volé à l’agitation. Un point d’appui.

Dans mes projets, cette tension est toujours là. Entre retrait et apparition. Entre isolement et tentative de contact. Je ne cherche pas à raconter ma douleur, mais à la traverser. À témoigner, aussi, pour ceux et celles qui, à leur manière, vivent ce même décalage avec le monde.

Je ne suis ni à l’écart, ni tout à fait présent. Je suis entre. Entre l’ombre et la lumière. Entre la disparition et la trace. La photographie est ce passage. Ce seuil. Elle ne demande rien. Elle me permet juste de rester, de regarder, de dire : je suis là.

Comprenne qui pourra. »

Signature Yohannes